Backlash : le retour de bâton qui frappe les femmes leaders
Le backlash, un mot découvert il y a quelques jours qui résonne avec une intensité particulière dans mes accompagnements de femmes leaders. Un concept qui éclaire tant de tensions que j’observe dans les organisations. Le backlash leadership féminin sont deux concepts indissociables
Un mot qui percute : qu'est-ce que le backlash ?
Le terme est violent, presque physique. Il désigne le contrecoup qui pèse sur les droits des femmes après chaque avancée. Un retour de bâton, une régression, une revanche. Difficile à traduire précisément en français, ce qui explique pourquoi nous continuons d’utiliser le terme anglais.
Ce concept nous rappelle que la lutte pour la libération des femmes n’est pas linéaire. Ce qu’en son temps Simone de Beauvoir aimait à scander « Rien n’est jamais définitivement acquis. Il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question ». Le backlash nous rappelle que chaque victoire génère sa propre résistance. Chaque pas en avant provoque un mouvement de recul. C’est la journaliste américaine Susan Faludi qui, dans son livre éponyme pour lequel elle a reçu le prix Pulitzer en 1991, a théorisé ce phénomène en analysant comment les mouvements conservateurs américains s’opposaient systématiquement aux avancées des droits des femmes dans les années 1980 et 1990.
Comme le souligne l’historienne Christine Bard, après les poussées d’émancipation des femmes, on observe souvent une réaction politique qui provoque une régression des droits et des libertés des femmes Un phénomène qui apparaît comme récurrent à travers l’histoire et qu’on retrouve aujourd’hui en 2025 aux US avec le mouvement des tradewifes, qui prône le retour d’un rôle de la femme mariée comme femme au foyer, dédiée à son mariage, sa famille et ses enfants, reposant sur la conviction que le bonheur d’une femme est engendré par le bonheur de son époux.
Le double backlash des femmes leaders
Dans mes accompagnements, j’observe un double backlash que vivent les femmes qui accèdent à des postes de leadership. Et oui encore ce fameux « leadership féminin » comme si le leadership était genré
La résistance à leur présence au pouvoir
Le premier backlash est frontal : il résiste à leur simple présence dans les sphères de pouvoir. Les remarques sur les quotas, les questionnements incessants sur leur légitimité, la vigilance accrue sur leurs moindres décisions. Ce backlash-là, beaucoup de femmes leaders le connaissent et ont appris à le nommer.
Mais il existe un second backlash, plus insidieux. Celui qui vise non pas leur présence, mais leur manière de diriger. Quand ces femmes incarnent un leadership différent – plus collaboratif, plus inclusif, plus attentif aux équilibres humains – elles ne menacent plus seulement la répartition du pouvoir. Elles remettent en question le modèle même du pouvoir.
Et là, la résistance se fait plus violente encore. Parce qu’il ne s’agit plus de partager le gâteau, mais de changer la recette. Les comportements qu’on valorise chez elles en théorie (l’écoute, l’ajustement, la prise en compte des vulnérabilités) deviennent soudain des faiblesses quand elles occupent réellement des postes de pouvoir. On leur reproche d’être « trop douces », « pas assez fermes », de « ne pas savoir trancher ».
Ce double backlash est épuisant. Ces femmes doivent porter simultanément l’ambition, la légitimité ET la transformation culturelle. Elles doivent prouver qu’elles sont capables de diriger tout en essuyant les critiques sur la façon dont elles dirigent.
Femmes leaders prises entre deux feux : quand les backlash se cumulent
Et les femmes leaders d’aujourd’hui se retrouvent prises entre deux feux :
- Le backlash de ceux qui résistent à leur présence et à leur approche du pouvoir
- Le backlash qu’elles déclenchent malgré elles auprès de ceux qui ont fait le chemin avant elles
Cette situation crée des tensions particulièrement douloureuses. Une femme de 45 ans qui accède à un poste de direction peut être perçue comme « trop féministe » par certains de ses pairs masculins, tout en étant vue comme « pas assez engagée » par les plus jeunes de son équipe.
Elle doit naviguer entre ces deux écueils, sans jamais être tout à fait légitime nulle part. C’est ce que j’appelle l’épuisement du « entre-deux » : ne jamais pouvoir se poser, toujours devoir se justifier, dans un sens ou dans l’autre.
Backlash intergénérationnel : quand les générations s'affrontent sur l'égalité
Le sentiment d'invalidation des générations senior
Ce qui me frappe également dans mes interventions en entreprise, c’est la manière dont le backlash traverse les générations et crée des incompréhensions profondes.
Du côté des jeunes générations, particulièrement les Millennials et la Gen Z, il y a une exigence forte sur l’égalité femmes-hommes. Une impatience légitime face à la lenteur des changements. Une difficulté à comprendre pourquoi, en 2025, nous en sommes encore à débattre de questions qui leur semblent évidentes.
Du côté des générations plus senior, cette exigence peut être vécue comme un backlash en soi. « Mais on en a déjà tellement fait ! Pourquoi c’est encore insuffisant ? » Cette réaction n’est pas toujours de la mauvaise volonté. C’est parfois une vraie blessure : celle de voir ses propres combats, ses propres avancées, perçus comme dérisoires ou insuffisants.
Je pense à cette cadre dirigeante de 58 ans qui me confiait : « J’ai bataillé pendant trente ans pour avoir ma place. J’ai fait des compromis, j’ai dû m’adapter au système tel qu’il était. Et maintenant, les jeunes me regardent comme si j’étais complice de ce système. Comme si mon parcours ne comptait pas. »
Le backlash devient alors une réaction défensive face à ce qui ressemble à une invalidation de leur parcours. Une façon de dire : « Nous avons survécu au système tel qu’il était, pourquoi faudrait-il tout changer maintenant ? »
comment traverser le backlash sans s'épuiser
Face à ces constats, la question devient : comment avancer sans déclencher systématiquement ce contrecoup qui épuise et ralentit ? Comment sortir de cette spirale ?
Reconnaître que le backlash signale un changement profond
Le backlash n’est pas qu’une manifestation de mauvaise volonté. C’est aussi le signe qu’un changement profond est en cours, c’est donc une bonne nouvelle. Et que ce changement fait peur, même à ceux qui le souhaitent.
Quand une organisation commence à vraiment transformer ses modes de fonctionnement, quand le pouvoir se redistribue réellement, quand les modèles de leadership se diversifient, cela crée de l’insécurité. Pour ceux qui perdent des privilèges, bien sûr. Mais aussi pour ceux qui les ont durement acquis et qui craignent qu’on ne leur retire ce qu’ils ont construit.
- Pratiquer les verbes du « ET »
Ceux qui me connaissent savent combien j’aime le monde du « et » et combien je le crois salvateur en particulier pour les femmes. Le chemin du « OU » au « ET » passe par là : reconnaître les avancées passées ET continuer d’avancer. Légitimer les inquiétudes ET maintenir le cap. Accueillir la résistance ET persévérer.
Il s’agit d’ajuster plutôt que d’imposer. D’écouter vraiment les peurs sans pour autant renoncer. D’accepter que le chemin soit long sans baisser les bras.
Créer des ponts entre générations
Dans mes interventions, je constate que créer des espaces où les générations peuvent vraiment se parler – sans jugement, sans stratégie de communication – change la donne. Quand une femme de 60 ans peut raconter son parcours et qu’une femme de 30 ans peut exprimer ses frustrations, sans que l’une invalide l’autre, quelque chose se détend.
Le secret : Tenir la tension sans la nier
Enfin, et c’est sans doute le plus difficile : accepter que la tension ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Qu’avancer vers plus d’égalité génère nécessairement des résistances. Et que ces résistances ne doivent pas nous arrêter, mais nous informer sur la profondeur du changement en cours.
Les femmes leaders que j’accompagne apprennent à tenir cette tension. À ne plus s’épuiser à vouloir convaincre tout le monde avant d’avancer. À accepter que leur simple présence, leur simple manière de faire, dérangent. Et à continuer malgré tout.
Parce que comme le rappelle l’histoire du féminisme, chaque avancée provoque son backlash. Mais chaque backlash finit par s’épuiser. Et le progrès, lentement, reprend son cours.